« Je ». Une traversée des identités

Il y en a aujourd'hui qui se méfient du « Je », n'y croient plus et en méconnaissent la dimension éthique et politique. Il y en a qui préfèrent le « Nous », l'identité qui nous rassemble et nous ressemble ; d'autres encore préfèrent le « Il y a » de la science, conduisant à une quantification de l'existence.

Lorsque l'époque tend à gommer tout rapport subjectivé à son existence, comment rencontrer ce « Je », me permettant d'accéder à mon désir, de saisir le noyau de ma souffrance et les contours de mon angoisse ? Le narcissisme de masse se présente paradoxalement comme un effort pour continuer à exister en première personne et ne pas disparaître dans l'uniformisation du monde. Mais n'est-ce pas là un autre piège ? Le déchaînement des passions sur les réseaux sociaux et l'obéissance au Surmoi du monde numérique nous permettent-ils de retrouver notre singularité perdue dans l'univers irrespirable de la quantification de soi et de la marchandisation des expériences ? Parier sur le « Je » offre une autre voie que le narcissisme et le stade du miroir. Parier sur le « Je », c'est miser sur la valeur de la parole et de la rencontre, c'est inventer un « Nous » qui dépasse la logique identitaire, c'est continuer de croire avec Freud et Lacan dans les messages de nos rêves et de nos cauchemars, c'est consentir à une nouvelle odyssée. Parier sur le « Je », c'est faire une traversée : la traversée des identités.

Clotilde Leguil